Les premiers essais de pêche de la sardine à Arcachon avec bateaux mus par un moteur à pétrole datent de l'année 1906, soit de moins de deux ans. Au mois de septembre de cette année 1906, quelques propriétaires de canots à pétrole, qui ne s'en servaient, pendant leur villégiature, que pour leur agrément, eurent l'heureuse idée de faire tenter l'expérience par leurs marins. La sardine ayant séjourné presque tout l'hiver sur la côte entre Arcachon et Bayonne, les résultats furent merveilleux. La pèche dura ainsi pendant la plus grande partie de l'hiver, et elle fut particulièrement productive en octobre-novembre.
Encouragés par ce succès, armateurs et patrons pêcheurs se décidèrent à adopter le nouveau système qui prit rapidement, une grande extension. Les constructeurs furent, et sont encore surchargés de commandes, et on estime qu'en juillet 1908, il existera dans le bassin d'Arcachon, 125 pinasses ou canots a moteur propres à la pêche de la sardine.
Les bateaux
employés sont de deux genres principaux,
le canot proprement dit, a arrière carré,
destiné primitivement au seul tourisme, et l'ancienne
pinasse à voiles et a rames, a laquelle on a adapté un
moteur. Les pêcheurs tendent a conserver cette dernière
a laquelle ils sont habitués. Toutefois la pêche
se faisant l'hiver loin du bassin, ils seront vraisemblablement
amenés à adopter un système de bateau
plus grand et en partie ponté, qui puisse mieux
résister à la mer. Les moteurs employés
varient entre 4 et 15 chevaux suivant la force des bateaux
auxquels ils sont adaptés. Les plus répandus
sont les moteurs Couach, Fairbanks, Dan, Wolverine, Herald,
Marine etc..
Chaque canot ou pinasse a moteur est monté par 5
ou. 6 hommes et porte a bord avec les filets et autres
apparaux, un ou deux doris placés à l'avant
; dans ce dernier cas les doris s'emboîtent l'un
dans l'autre. Sur les lieux de pêche les doris sont
mis à l'eau et montés chacun par 2 hommes
munis des engins nécessaires, les deux ou trois
autres restant à bord un bateau à moteur
qui sert également à la pêche. L'équipage
constitue ainsi 2 ou 3 groupes pêchant séparément,
l'un des hommes se tenant aux rames pendant que l'autre
s'occupe des filets et appâte le poisson.
Le mode
de pêche est le même que celui employé par
les pêcheurs bretons, avec les mêmes filets
et en employant uniquement la rogue de morue, qui est vendue à Arcachon
au poids et non pas au baril. Nous avons constaté avec
le plus grand plaisir que les pêcheurs du Bassin
ignorent absolument les tourteaux d'arachides dont ils
ne connaissent pas l'emploi. D'octobre 1907 à mars
1908, la pêche s'est faite à environ25 milles
d'Arcachon entre Biscarosse et Mimizan-Plage, au droit
des bains de Sainte-Eulalie, à quelques milles au
large, par 25 à 30 brasses de profondeur. Les bancs
de sardines se sont cantonnés là pendant
toute cette époque, et par la grosseur de ce poisson
nous supposons qu'il .est le même que celui pêché pendant
la campagne 1907 aux environs des Sables d'Olonne et de
l'île d'Yeu.
Depuis la moitié du mois de mars la sardine s'est
rapprochée des passes d'Arcachon, ce qui semblerait
indiquer qu'elle a commencé sa migration vers les
côtes vendéennes et bretonnes, et ce qui nous
confirme dans cette opinion, c'est que le moule en est
devenu plus petit, de 54 à 56 millimètres
soit 8 au quart environ.
D'après des renseignements recueillis à des sources certaines, la pêche avec bateaux à moteur aurait depuis son inauguration donné d'excellents résultats aux armateurs et marins pêcheurs. Du 4 au 24 octobre 1906, une pinasse de 8 mètres 50 de longueur, avec moteur de 6/8 chevaux montée par 5 hommes, a péché en 14 sorties, 118.500 sardines qui ont produit à la vente 3.662 fr. 50. Les frais divers (rogue, huile, essence, graisse, etc) s'étant élevés pendant cette période à 513 fr. 25, il en est résulté un bénéfice net de 3149 fr. 25, qui, réparti en 7 parts égales dont 2 pour le bateau et 5 pour l'équipage, a donné en chiffres ronds pour une période de vingt jours, 900 fr. à l'armateur et 450 fr. à chaque homme. Une autre pinasse à moteur a donné plus récemment pendant 6 mois de pêche, du 1er septembre 1907 au 29 février 1908, un rapport net de 1.500 francs à chacun des cinq hommes et 3.000 francs à l'armateur.
Un troisième canot, moins favorisé a pu cependant malgré de fréquents arrêts causés par les tempêtes, du 10 novembre 1907 au 21 mars 1908, et en vingt-cinq jours de pêche, capturer 80.000 sardines en chiffres ronds (exactement 79.608) qui ont produit à la vente une somme totale de 3614 fr. 30.
Il est à remarquer que notre étude ne s'applique qu'à la pêche d'hiver, c'est-à-dire à celle qui se pratique dans les plus mauvaises conditions et avec le moins de régularité par suite du mauvais temps, et des interruptions qu'il nécessite. Il ne nous paraît pas douteux que les résultats en seraient encore meilleurs pendant la belle saison.
A l'encontre de ce qui se produit en Bretagne où l'armateur procure avec le bateau les filets nécessaires à la pêche, ces derniers sont fournis à Arcachon par l'équipage. Les frais d'achat de rogue et tous ceux nécessités par la mise en marche du bateau (essence, huile, graisse, etc.) sont prélevés sur le produit brut de la vente du poisson, avant le partage entre lès intéressés. Ces conditions, adoptées par la plus grande partie, ne sont cependant pas générales et sont même très variables" quelques armateurs ne fournissant que le bateau sans entrer dans les frais, mais dans ce cas ils ne touchent qu'une seule part sur le produit brut de la pêche.
De notre étude, il y a lieu de conclure, que sans le concours de bateaux à moteur, la pêche à l'Océan ne pourrait se faire pendant l'hiver et même pendant l'été, lorsque le poisson se trouve hors de portée des bateaux à voile. Il y a donc lieu de se féliciter du développement apporté par cette transformation dans l'industrie de la pêche, et il serait à souhaiter que dans l'intérêt des pêcheurs comme des fabricants, elle se généralisât sur d'autres points.
Bulletin / Société de géographie
commerciale de Bordeaux ; [publié par l'Association
française pour l'avancement des sciences]
1908. 15 janv.-15 déc. 1908 (2e série / 31e
année / N °1-12)