Avenir
dArcachon N° 2807 du 23/9/1906
Incendie du Grand-Hôtel
Dans
la nuit du jeudi au vendredi 21 septembre, le feu sest
déclaré au Grand-Hôtel et la complètement
détruit ; cest le plus grand malheur industriel
qui put atteindre la ville dArcachon.
Vers
2 heures du matin, une forte odeur de brûlé se
dégageait dans laile de lEst. Le feu avait
pris dans une pièce inoccupée du premier étage,
gagné les cloisons, atteint les charpentes, et peut-être
aussi par suite des conduites de gaz et délectricité,
se propageait dune manière effrayante dans toutes
les directions du vaste établissement.
Lapport
de leau était difficile à effectuer. M.
Ferras sy mit avec son personnel et espéra circonscrire
le danger ; mais les pompes et lorganisation de la Ville
sont insignifiantes.
M. Ferras
et sa famille déployèrent un courage et un dévouement
à toute épreuve, pour appeler et grouper les
moyens dextinction, et quand ils virent que la marche
de lincendie devenait instantanée et foudroyante,
il sévertuèrent à sauver la vie
des clients et clientes, très nombreux à cette
époque de lannée.
Grâce
à des prodiges defforts et dactivité,
ils parvinrent à faire évacuer cet immeuble
considérable, sans quil y ait de mort à
déplorer. En vêtements de nuit, les voyageurs
se répartirent à lHôtel Continental
en forêt et dans les différents hôtels
de la Ville.
Le feu
nétant circonscrit dans aucun endroit, mais réparti
sur un embrasement général, les plafonds commencèrent
à seffondrer, et luvre de destruction
saccomplit avec une rapidité vertigineuse et
terrible.
A 4 h.
du matin, notre splendide et malheureux Grand-Hôtel
ne représentait quun immense amas de flammes
sélançant entre les gros murs en langues
de feu, à une hauteur énorme. Si au lieu dune
nuit très calme, le moindre vent avait soufflé,
tout le quartier pouvait être atteint.
Le Gand-Hôtel,
propriété appartenant à M. Léon
Lesca, et dune valeur de deux millions, avait été
construit en 1865. Tout y était monumental : les escaliers,
ascenseur, établissement balnéaire et dhydrothérapie,
salle de garage automobile, un immense hall de rez-de-chaussée,
des salons de 25 mètres de long sur 10 de large, salons
de lEst, salons de lOuest, restaurant dhiver,
restaurant vitré dété, des terrasses,
des balcons, 300 chambres, et des salons aussi aux étages
meublés luxueusement, en faisaient un des plus beaux,
des plus spacieux, des plus fastueux hôtels du Sud-Ouest.
M. Léon
Lesca, notre ancien conseiller général, qui
a fait tant de bien à ce pays, qui a toujours représenté
et défendu lintérêt général
avec une infatigable sollicitude, qui a toujours fait et fait
encore tant de sacrifices de temps et dargent pour Arcachon,
la station et la région, venait récemment déprouver,
dans les incendies de forêts de la semaine dernière,
une perte de 500 hectares, dont 400 hectares de bois à
Salaunes, et 120 à St-Jean-dIllac.
Ce nouveau
sinistre dans son aveugle fatalité, ce Grand-Hôtel
détruit à 40 ans de sa date de construction,
est comme nous le disions tout-à-lheure, un malheur
privé et public.
Au milieu
de ses jardins, entre le boulevard et la plage, il ne reste
plus que les quatre murs de ce grandiose édifice carré
; tout sest écroulé, sest effondré
sur le centre ; tout a été englouti dans lincandescence
du foyer.
Espérons
pour notre pays que ce malheur ne sera pas irréparable
et irréparé, notre vitalité urbaine en
serait irrémédiablement atteinte.
E.G.
Une semaine plus tard, le journal publie une
revue de presse de son cru:
Avenir
dArcachon N° 2808 du 30/9/1906
Pompe à vapeur
Lincendie
du Grand-Hôtel a été raconté diversement
dans les journaux locaux et régionaux.
«
LA VIGIE », journal municipal, ne pouvait pas
constater que des pompes à bras sont insuffisantes
pour projeter de leau à 16 mètres de hauteur,
et que seule une pompe à vapeur serait plus utile que
des fusils entre les mains des pompiers ; que cette dépense
urbaine eut été préférable à
bien des dépenses électorales ou somptuaires
figurant au budget. Elle se plaint, suivant le cliché
habituel, des administrations précédentes pour
dégager ladministration actuelle. Elle dit ceci
:
« Malheureusement il est du traité passé
avec la Compagnie des Eaux en 1882 comme de celui conclu avec
la Compagnie du Gaz. Lassemblée communale dalors
a négligé de prévoir des clauses entraînant
pour les Compagnies certaines obligations.
« Malheureusement les conventions en cours ont été
conclues pour une durée de 75 ans et ne prendront fin
que le 31 décembre 1956 ! »
Après
cette sortie contre la Compagnie des eaux et la Compagnie
du gaz, et les anciens maires, la Vigie qui tient à
démontrer que cest le lapin qui avait commencé,
reproche au Grand-Hôtel de navoir pas eu dans
les combles un réservoir deau suffisant.
Quun
autre immeuble brûle faute de pompe à vapeur
aspirante et foulante ayant suffisamment de pression pour
envoyer de leau sur les toits, on répondra quil
aurait suffit davoir en permanence dans chaque grenier
un bassin de réserve
Voilà les raisonnements
municipaux.
«
LA PETITE GIRONDE », qui probablement navait
pas été renseignée par son nouveau correspondant,
informe, comme faits sensationnels, que « MM. Bourdier
et Canton étaient sur le théâtre de lincendie
» en omettant dajouter que M. le Maire était
comme dordinaire absent, mais que le lendemain il a
offert un déjeuner aux pompiers. Et le surlendemain
elle rectifie ses autres informations.
«
LA FRANCE » consacre aussi un article de rectification
aux erreurs dévaluation commises et parues précédemment
; soit sur limportance des pertes, soit sur les causes
de lincendie. Ce reportage écrit dans le même
esprit que celui de la Vigie, semble émaner de la même
personne, mais comme là elle nest pas tenue à
la déférence obligatoire de la feuille municipale,
elle termine en risquant le seul raisonnement logique que
nous avons formulé tout dabord :
« Comble dironie, on a manqué deau
au moment de la pleine mer, alors que les eaux du Bassin baignaient
la terrasse du Grand-Hôtel. Si les pompiers, au lieu
dune pompe à bras disposaient dune pompe
à vapeur aspirante et foulante, ils eussent pu inonder
limmeuble deau salée, au lieu dassister
impuissants aux progrès du sinistre. »
M. le
Maire et ses correspondants de journaux sont tellement absorbés
par dautres occupations, quil faut excuser ces
imperfections de services dinformations rectifiées,
et que de plus, une séance doctobre fera probablement
la promesse dune pompe à vapeur à pression
aspirante et foulante.
Pour
que leau monte assez haut,
Cest la Pompe quil nous faut !
Textes recueillis par Aimé Nouailhas
7/01/07