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IX

Nous avons laissé le résinier, dans un de nos derniers chapitres, récoltant la gemme et la transportant du bark à l'usine. Le travail de piquage et la récolte de la gemme liquide se continuent tout l'été jusqu'en automne et cessent généralement vers la fin d'octobre ou au commencement de novembre. A cette époque, la sève ne montant plus, il ne reste plus qu'à récolter la partie solide de la gemme, celle qui résulte du figement de cette matière le long de la quarre et qui se nomme barras ou galipot.

Cette opération s'exécute au moyen d'un instrument assez semblable à la sarcle à peler, mais plus petit comme fer et plus long comme manche, appelé sarcle à barrasqua ou barrasquite.

Les petits pots sont enlevés et débarrassés de leur barras au moyen d'une raclette, puis mis à part pour l'année suivante et réunis dans la forêt même au pied des arbres, retournés sens dessus dessous. Faute de cette précaution, omise par des résiniers négligents, les eaux de pluie y séjournent, gèlent en hiver et font éclater les pots, ce qui diminue d'autant la part de bénéfice du propriétaire.

Puis, étendant au pied de l'arbre une pièce de toile, on racle le barras sur toute la longueur de la quarre, de façon à le faire tomber dans la toile. Ensuite on le reverse dans des barriques de pin brut ouvertes, et qui ne sont fermées qu'à l'usine.

Attelage pour le chargement des barriques

Lorsque, ce qui arrive souvent, le petit pot contient encore de la gemme liquide, on la verse directement dans les barks de gemme, et l'on y mélange du barras, afin de former ce que l'on appelle le crottage. Ce mélange s'opère dans le bark même au moyen d'un bâton que l'on y introduit et que l'on retourne en tous sens, jusqu'à ce qu'il ne se forme plus qu'une pâte épaisse. Puis on charge dans les barriques à gemme. Cette opération s'exécute indifféremment au gré de l'usinier ou du propriétaire, soit en récoltant le barras seul, soit en le mélangeant avec la gemme. Cela dépend de la qualité des produits résineux que l'on désire obtenir.

On recueille également chez différents propriétaires le barras en nattes plutôt qu'en barriques. Ce système a l'avantage d'être moins encombrant ; quant au résultat, il est identique.

Après avoir rempli les nattes ou les barriques, on les damme ; l'opération du dammage consiste à monter sur le récipient et, les pieds chaussés de sabots, à tasser le barras avec force, afin d'y faire rentrer le plus de matière possible ; pour avoir plus d'énergie dans ce mouvement, on s'appuie sur un long et fort bâton. On damme également la surface du barras contenu dans les nattes, pour l'égaliser et le rendre plus compact.

Il est évident que ce dernier produit du pin ne possède pas les qualités térébinthinées des gemmes recueillies pendant le restant de l'année.

Celle qualité varie suivant la saison.

La première gemme est celle qui coule du mois d'avril au mois de mai. C'est la plus riche en essence de térébenthine et celle qui produit les plus belles colophanes. L'autre partie, qui coule de juin à octobre, est de moins bonne qualité, et, quant à la gemme d'arrière-saison, qui n'est autre que le crottage, c'est celle qui donne le moins d'essence de térébenthine et qui produit les matières sèches les plus ordinaires.

Aiguisage des outils

Quant aux prix de la gemme par rapport au gain du résinier, ils sont assez variables et sont établis en raison des fluctuations de l'essence de térébenthine et de la colophane ; il n'y a rien de fixe à cet égard.

Actuellement la moyenne varie de 17 à 20 centimes par litre pour la gemme de première qualité; à la seconde époque, le prix est généralement inférieur de 1 à 3 centimes. Pour le crottage, il va de 10 à 12 centimes le litre.

Maintenant que l'Amérique se suffit à peu près à elle-même pour l'exploitation des produits résineux, exploitation différente de la nôtre, les prix ont sensiblement baissé et ne reviendront plus à ceux de 1862, obtenus grâce à la guerre de Sécession et qui fit la fortune relative de tous les usiniers et résiniers.

Aussi le gain du résinier est-il bien minime. Il n'est pas un ouvrier payé soit à la journée, soit au mois, soit aux pièces, c'est un métayer. Le propriétaire fournit le matériel et loge ses résiniers dans les baraques décrites plus haut; libre à ceux-ci d'avoir au village un domicile à leurs frais; ils reçoivent également les pots, les crampons et les pointes de fer, mais se fournissent eux-mêmes et à leurs frais de tous leurs outils et de leur mobilier forestier. Le produit du travail du résinier est partagé en deux parts égales avec le propriétaire.

Mais, comme le résinier a plus de rapports avec l'usinier chez lequel le propriétaire des bois de pins fait lever la gemme qu'avec ce dernier lui-même, il en résulte que c'est avec l'usinier que les résiniers viennent après chaque amasse (c'est-à-dire après chaque récolte du bark), soit toutes les trois semaines environ, régler leur moitié.

La moitié du propriétaire est conservée par l'usinier et portée en compte pour être réglée, suivant usages, deux ou trois fois l'an. J'ai déjà eu l'occasion de parler de la grande honnêteté des résiniers; souvent, avant le règlement de l'amasse, ils ont besoin d'argent et viennent demander une avance. Ces avances, comme les règlements, se font sans échanger de reçus, et jamais aucune contestation n'a lieu; la parole suffit.

L'hiver s'approche, la gemme ne découle plus qu'avec peine de la quarre, le piquage cesse, on enlève les pots, que l'on retourne. Le travail d'exploitation est terminé pour le résinier.

C'est alors qu'il s'emploie au travail de bûcheron pour l'hiver et prépare ses outils pour la saison prochaine.

L'aiguisage de ces outils est assez curieux; pour le hapchott ordinaire, cette opération s'exécute en tenant la lame de l'instrument d'une main, le manche en arrière, et de l'autre la pierre à aiguiser ou perra a agueda, qui passe et repasse délicatement autour du tranchant de la lame recourbée, afin de rétablir son fil délicat.

Pour le hapchott à échelons, le résinier construit un appareil comprenant d'abord un morceau de tronc d'arbre d'environ 20 à 25 centimètres de diamètre, sur 2 mètres à peu près de longueur, équarri et plané sur les surfaces supérieure et inférieure, la première creusée légèrement sur une partie pour servir de barre d'arrêt à l'outil et plus profondément un peu plus loin. A une extrémité de ce tronc reposant à terre à un ou deux pas environ, on a monté un faisceau de branches de pin, A côté du tronc, une pierre tendre à aiguiser repose sur le sol. Le résinier remplit d'eau le bassin creusé dans le tronc, s'asseoit sur celui-ci, repose la lame sur l'échancrage, le manche appuyé derrière lui sur le faisceau, prend une pierre dure à aiguiser, la mouille, l'affûte sur la pierre tendre, et opère sur la lame du hapchott de la même façon qu'il est décrit plus haut pour le petit hapchott.

Puis le résinier emploie ses loisirs à diverses occupations. Il s'ingénie à embellir autant que possible son intérieur. Il répare ses meubles et ses outils; la femme, réunissant les copeaux de pin provenant du piquage, appelés communément écoupeaux ou galipes, ainsi que les pommes de pin ramassées un peu partout, en charge le bourriquet et va vendre ces excellents allume-feu aux localités voisines.

Dans l'intervalle, la résinière se livre à la fabrication de la chandelle de résine, qui devra servir à éclairer son misérable intérieur pendant les longues soirées d'hiver.

Récolte du barras

Ce sont toujours les plus mauvais résidus de résine achetés à très bon compte, ou bien offerts gracieusement par l'usinier, qui servent à la fabrication de ces chandelles.

On commence d'abord à faire fondre dans une marmite de fer cette résine jusqu'à ce qu'elle soit bouillante ; pendant la cuisson on a eu soin de préparer des lanières de toile de trente à quarante centimètres de longueur; le vieux linge usé est le plus souvent employé.

Ces lanières sont trempées plusieurs fois de suite dans la résine bouillante, de façon à former une couche suffisamment épaisse, qu'on laisse refroidir assez pour être maniable à la main, puis qu'on roule à plat sur une table et en longueur, de façon à former le moins grossièrement possible une bougie dont la lanière de toile devient la mèche. C'est primitif, mais ça brûle, ça fume et ça éclaire juste ce qu'il faut pour ne pas être complètement dans l'obscurité.

Le résinier n'en demande pas davantage. Peu lui importerait un éclairage a giorno, il ne lit pas; aussitôt la nuit venue, le temps de faire sa soupe, de la manger, de mettre un peu d'ordre dans la masure, et l'on se couche jusqu'au lever du jour prochain. Quelquefois la mère s'installe auprès du berceau du bébé pour raccommoder quelques hardes pressées, et c'est tout. Alors la chandelle est fixée dans une espèce d'étau en fonte, fiché sur un pied de bois, suffisamment indiqué dans notre dessin, et que l'on nomme candelei.

Cette résine de dernière qualité est également employée par les vignerons landais et bordelais pour la création des nuages artificiels contre les gelées du printemps.

A cet effet on remplit de petites caisses de bois de cette résine bouillante, au milieu de laquelle on a introduit une poignée de fougères ou de genêts secs, formant mèche et adhérence avec la résine au refroidissement de celle-ci.

Quand la vigne fleurit et que des gelées sont à craindre, on dispose ces caisses de distance en distance dans la direction du nord, et l'on met le feu aux mèches, au moment de la nuit où le danger est le plus à redouter, c'est-à-dire une heure ou deux avant le lever du soleil.

Cette résine en brûlant donne une fumée noire, épaisse et abondante, qui s'étend en nuages au-dessus du sol et peut ainsi préserver efficacement les vignes, à la condition toutefois qu'un vent malicieux ne vienne pas contrecarrer les efforts tentés et disperser sans profit dans l'espace les acres nuées résineuses.

Nous ne pouvons pas évidemment parler ici des différents produits retirés de l'industrie de la résine, comme l'essence de térébenthine, les pâtes de Venise et de Chio, la colophane, le goudron, les brais secs et gras, etc.; là n'est pas notre but, car ces produits, ayant leurs débouchés particuliers qui s'accroissent journellement, ne peuvent être étudiés que dans des ouvrages tout à fait spéciaux, et leur description ne rentre pas dans le cadre de notre récit.

Nous pouvons néanmoins, pour satisfaire nos lecteurs, leur assurer que la France, ayant considérablement accru la production de la résine, a toujours maintenu sa supériorité de fabrication sur ses concurrents d'Angleterre et d'Allemagne, et les efforts de notre industrie résinière complètement transformée luttent avec succès contre la concurrence étrangère.

X

II ne nous reste plus maintenant, pour épuiser cette rapide description des mœurs résinières, qu'à parler des coutumes encore existantes relatives à l'exploitation usagère de la forêt et qui remontent à bien des siècles.

La possession en commun de la forêt de la Teste date de l'époque gauloise, mais elle a dû probablement cesser au moment où l'on a commencé à cultiver les pins pour en extraire la résine, car, ainsi que nous l'avons dit plus haut, cette exploitation remonte à la date historique de l'occupation romaine.

Chacun ayant voulu posséder une certaine partie délimitée de la forêt pour en extraire la résine, celle-là aura dû être partagée, afin que l'un ne pût empiéter sur le travail de l'autre; puis lorsque la civilisation romaine eut disparu après l'invasion des Vandales, la forêt dut rester longtemps abandonnée, jusqu'à l'arrivée du seigneur féodal.

Les seigneurs se proclamèrent alors les seuls propriétaires de tout le territoire, ne laissant aux habitants la possession des terres cultivées qu'en leur imposant des redevances, en transformant les hommes libres en serfs, et en conservant les landes et les forêts pour s'y livrer au seul plaisir de ces époques barbares : la chasse.

Les contrées de ces pays absorbées par les seigneurs se nommèrent captalats, le plus puissant des captalats des Landes fut celui de Buch.

Confection de la chandelle

Les captals, désireux d'augmenter leurs revenus, autorisèrent alors les habitants à prendre des bois dans la forêt et à exploiter les pins pour la culture de la résine, moyennant certaines redevances. Cette jouissance de la forêt, qui n'avait d'abord commencé qu'à être une tolérance, ne tarda pas à être regardée ensuite par les habitants comme un droit. Ils cherchèrent alors à obtenir de leurs captals une concession complète et définitive ; mais les seigneurs ne parurent pas disposés à se laisser séduire, d'autant plus que le pays venait de tomber sous la domination anglaise et que le régime féodal régnait dans toute sa rigueur, accrue encore par une haine de race.

Cet état de choses changea complètement aussitôt après l'expulsion des Anglais. Sous un régime plus favorable au peuple, les captals, et parmi eux, le plus célèbre, Gaston de Foix, octroyèrent alors par charte écrite en l'an 1468 les mêmes droits qu'autrefois à leurs féaux; cette convention, qui remplaçait l'autorisation verbale, sanctionnait les devoirs du seigneur et des sujets l'un vis-à-vis des autres.

Or, par ce fait que des conventions particulières sont toujours interprétées par les parties dans le sens qui leur est le plus favorable, il arriva que les habitants du captalat, se considérant désormais comme possesseurs de la forêt, se la partagèrent entre eux, de façon que chacun devînt propriétaire d'une partie déterminée.

Ce fut du reste une nécessité que ce partage, pour la bonne exploitation de la forêt, d'autant plus que les progrès de l'industrie, les développements de la marine, la découverte de l'Amérique, etc., avaient multiplié le besoin et l'usage des matières résineuses.

Aussi, en 1604, quand le captal s'avisa de vouloir reprendre la forêt, prétendant en être le seul et légitime propriétaire, les habitants protestèrent, prouvant à leur seigneur que la forêt leur appartenait en tout droit, qu'elle avait de tous temps été exploitée et tenue par leurs aïeux, et que du reste elle leur avait été donnée depuis quatre-vingts ans par messire Gaston de Foix, captal de Buch, et ce en toute propriété et titre de bonne foi. Bref, ce droit fut reconnu complètement et définitivement dès cette époque. Cependant, au bout de quelques années, certains propriétaires durent aliéner pour une cause ou pour une autre leur portion de forêt, ainsi qu'en témoignent les nombreux actes de cette époque relatant les ventes, les échanges ou les partages de diverses pièces de piñadas, qui de l'année 1500 à 1604 ont fait passer de main en main les parcelles de la forêt.

Mais, par celle aliénation, qui créa une caste d'habitants " ayant pins ", et d'autres " non propriétaires ", ceux-ci conservèrent sur ladite forêt ce que l'on appelle encore aujourd'hui des droits d'usage. On n'a pas encore pu les détruire, la lutte étant égale entre les partisans du statu quo et les adversaires de ces droits.

Ces droits usagers permettaient à tous les habitants et originaires seuls, captals propriétaires ou non propriétaires de la forêt, en vertu des transactions de 1604, 1716 et 1759 (les étrangers exclus de ces droits), de prendre tous les bois dont eux et les leurs pourraient avoir besoin tant pour leur usage que pour l'entretien de leurs maisons, leur chauffage, etc. Mais ils ne pouvaient vendre ni débiter aux étrangers les bois verts ou secs qu'ils auraient coupés, travaillés ou non, ni les faire transporter hors de la résidence, ces droits étant limités à l'usager seul ou aux siens. Il était également défendu de vendre tous les meubles, outils, appareils fabriqués avec ces bois, à aucun étranger au territoire, attendu que ces droits usagers ne furent établis que pour être limités au profit du sol des trois paroisses de la Teste, Gujan et Cazaux, qui limitent la superficie de ce que l'on appelle la grande forêt.

Abattage du bois mort

Outre ces droits, les usagers possédaient aussi celui de glandée et de pacage pour leurs troupeaux personnels. Mais ces différents droits furent soumis pour les uns à ce que l'on appelait la délivrance, tandis que les autres en étaient dispensés.

L'autorisation devait évidemment être nécessaire pour le bois vif destiné à la construction, afin d'éviter au propriétaire le désagrément de voir l'usager aller au plus près et ainsi enlever à l'exploitation un grand nombre d'arbres sur un même point : ce qui n'eût pas été juste.

Un syndicat spécial, ainsi qu'il en existe encore actuellement, indiquait à l'usager où il devait se rendre et ce qu'il était autorisé à prendre en tel ou tel endroit. Il arrivait alors que si l'usager avait besoin, pour se faire construire une maison par exemple, d'une dizaine ou une demi-douzaine d'arbres de grosseurs différentes, il faisait un assez long trajet en différents endroits; quelquefois il devait employer trois ou quatre journées à parcourir la forêt pour y recueillir des arbres souvent séparés l'un de l'autre de plusieurs kilomètres.

Quant aux droits d'abatage de bois mort ou de pacage, ceux-ci étaient dispensés de toute délivrance.

Il est évident que les contrevenants à ces transactions étaient passibles de peines variables dont les frappaient les syndics du captalat.

De plus, ces transactions obligeaient, de même qu'aujourd'hui, tous les habitants, en cas d'incendie dans la forêt, de se rendre immédiatement, et aussitôt que le signal en était donné, sur le lieu du sinistre, pour porter les secours nécessaires. Ils étaient obligés d'amener avec eux tous les instruments convenables, haches ou autres, et de travailler sans discontinuer jusqu'à ce que le feu fût éteint.

Tous ces droits subsistent encore à peu près tels quels; la révolution de 1789 elle-même n'a pu les abolir; mais elle y a pourtant mis cette restriction nouvelle que le propriétaire est libre du commerce de ses bois.

Une commission d'enquête, nommée par la Société des propriétaires de la forêt en 1862, fit un rapport concluant à une nouvelle transaction plus libérale peut-être et basée sur le cantonnement, avec propriété complète, part et droits d'usage bornés à une partie distincte de la forêt.

C'est ce rapport remarquable qui nous a fourni les documents historiques que nous venons de résumer.

Nous en extrayons le projet suivant résumant toutes les transactions :

I. Sont usagers, pour eux et leurs descendants à perpétuité, ceux qui, en ce moment, habitent l'une des trois paroisses de la Teste, Gujan, Cazaux, pour l'intégralité des droits d'usage; ceux qui habitent la commune d'Arcachon, pour les droits d'usage en bois de chauffage seulement; le tout suivant un acte nominatif qui sera annexé à la présente transaction.

II. Les étrangers qui, à l'avenir, viendront s'établir dans l'une des trois communes ne seront usagers qu'autant qu'ils auront contracté mariage avec des usagers.

III. Les droits d'usage sont établis au  profit des trois paroisses de la Teste, Gujan et Cazaux : de telle sorte que les bois fournis aux usagers en vertu de ces droits doivent être employés par eux ou par les leurs dans l'intérieur de ces communes.

IV. Les bois provenant des droits d'usage ou les objets qui auraient été fabriqués avec ces bois ne peuvent être ni vendus ni cédés à des non-usagers.

V. Les usines ou fabriques quelconques ne peuvent être construites ou alimentées avec les bois d'usage, qu'autant qu'elles exploitent les produits du sol des trois communes, ou des produits destinés à la consommation des usagers seulement.

VI. L'exercice des droits d'usage doit avoir lieu sans fraude ni abus, et de la façon qui sera reconnue porter le moins de préjudice à la propriété.

VII. Les droits des usagers sont les suivants : 1° droits sur le bois mort, pour le chauffage; 2° sur le chêne vif, pour la construction; 3° sur le pin, pour la construction; 4° divers menus droits en bois divers; 5° droit de glandage.

VIII. Les usagers ont le droit de prendre, pour le chauffage, le bois sec et mort, abattu ou à abattre, de quelque nature  qu'il soit, dans toute l'étendue de la forêt, sauf celui qui se trouverait être propre à la construction.

IX. Les chablis, c'est-à-dire les arbres détruits par un cas de force majeure, ouragan,  incendie ou tout autre, ne sont pas compris au nombre des bois morts, et ne peuvent être enlevés par les usagers pour aucun usage.

X. Les usagers ont le droit de prendre des bois de chêne vert pour la construction ou réparation de leurs barques ou bateaux, chaloupes et pinasses, pour la construction et réparation de leurs maisons, et pour les usages de leurs maisons, barques ou bateaux, autres lesdits usages que le chauffage.

XI. Les  droits sur le  chêne vert ne peuvent pas s'exercer constamment sur toute l'étendue de la forêt; il doit toujours y avoir en réserve un quartier de la forêt, les droits des usagers ne pouvant alors s'exercer sur la partie non en réserve; cette réserve doit être renouvelée tous les vingt ans.

XII. Les usagers ont le droit de prendre du pin vif pour la construction de leurs maisons et dépendances, pour celle de leurs pinasses, pour la confection de leurs outils et instruments aratoires et de leurs meubles, le tout pour leur service et entretien.

XIII. Il n'est dû du pin vif pour les usages ci-dessus désignés, qu'à défaut soit de pin mort, à la condition qu'il soit propre à la construction et de bonne qualité, soit de chêne vif, soit de tout autre bois pouvant convenir au travail projeté.

XIV. Les usagers ont le droit de prendre pour échalas destinés à la vigne toute espèce de bois autre que le pin et le chêne et même du branchage de pin dans toute l'étendue de la forêt. Ils peuvent prendre dans les braous seulement du pau de palet, perches, pour la pêcherie et la chasse aux oiseaux. Enfin ils peuvent prendre  dans les braous et bernèdes seulement des cercles et des codres.

XV. Les usagers ont le droit de ramasser les glands dans toute l'étendue de la forêt, depuis la Saint-Michel de chaque année jusqu'à la Saint-André inclusivement, pour leur usage seulement et sans en faire commerce.

XVI. Les usagers peuvent prendre sans permission :

1° le bois de chauffage; 2° le bois de chêne vif pour construction ; 3° le bois pour avirons, mâts, lorsque, étant en mer, leurs mâts et avirons viendront à se rompre; 4° les bois ou branchages de pin pour échalas; 5° les bois pour codres et cercles; 6° les glands. Néanmoins, les propriétaires se réservent le droit, soit de réglementer l'exercice de ces droits d'usage d'un commun accord avec les conseils municipaux, soit de demander aux tribunaux l'application du code forestier et en particulier de l'article 79.

XVII. Les usagers ne pourront prendre du bois de pin, mort ou vif, pour la construction, qu'après en avoir obtenu la permission et qu'au lieu qui leur aura été désigné. Ces permissions seront délivrées et ces désignations seront faites par deux syndics que les propriétaires préposeront à cet effet, et qui en tiendront registre; elles auront lieu tout à la fois au moindre dommage pour les propriétaires, et à la plus grande commodité pour les usagers. Il en sera de môme pour les paus destinés à la pêcherie et à la chasse aux oiseaux. Les permissions ne pourront être refusées qu'autant que le demandeur ne justifiera pas de sa qualité d'usager, ou demandera du bois pour un usage auquel il n'en est pas dû, ou qu'il demandera sans besoin réel.

XVIII. Les usagers sont tenus, en cas d'incendie dans la forêt, de se rendre sans délai sur le lieu du sinistre, avec tous les instruments nécessaires pour éteindre le feu.

XIX. Toute contravention aux présentes stipulations sera poursuivie conformément aux lois.

XX. Aucune innovation ne pourra être faite à la présente transaction, que d'un commun accord entre la société des propriétaires et les conseils municipaux, ou à la suite d'un jugement rendu à la requête de la partie la plus diligente.

Mais, quant à présent, rien n'a encore été décidé; des personnes des plus autorisées, gros propriétaires également de la Forêt, s'opposent à cette nouvelle transaction, réfutant avec autant de force et de raison les arguments de leurs adversaires. Des deux côtés il semble qu'il n'y ait aucune prise à la discussion. Aussi ne nous est-il pas possible d'émettre une opinion personnelle; du reste nous n'avons pas même le droit d'en avoir une, puisque nous ne sommes nullement intéressé dans cette question, triomphe de la bouteille à l'encre. Souhaitons néanmoins que l'on arrive à s'entendre, les deux parties étant aussi dignes d'intérêt l'une que l'autre.

Un de nos dessins relate un épisode du droit usager par l'abatage du bois mort, qui a lieu généralement, pour les hautes branches, au moyen d'une longue perche à crochets appelée garaillère.

A côté nous apercevons des parqueurs d'Arcachon coupant de la brande (espèce d'arbuste), destinée à entourer les parcs à huîtres afin de préserver ces intéressants mollusques de toute destruction par leurs différents ennemis ou amis, les crabes et certains poissons dont les noms m'échappent.

A cet effet, ils pratiquent une tranchée dans le sol à 50 centimètres des digues entourant les claires (ou bassins) de parcs à huîtres. On prend la brande abattue et qui a été préalablement disposée en paquets et l'on enfonce ceux-ci à 40 centimètres, en ayant soin de les rapprocher le plus possible les uns des autres, de façon à former une haie solide sans trop de résistance à la vague.

C'est dans les parties voisines des claires les plus exposées aux mauvais temps, que sont élevés ces remparts de la mer. Ils ont pour effet d'arrêter les huîtres en les conservant dans les claires et de diminuer d'une façon sensible la force des courants et les lames de fond.

La coupe de la brande se  fait au moyen de la daille, instrument assez semblable à une binette de jardinier, mais plus épaisse et plus solide comme lame et dont le tranchant se trouve sur les côtés et non sur l'extrémité.

Les bois débités destinés à l'industrie sont généralement réunis aux stations forestières des différentes petites lignes ferrées locales qui traversent les Landes, complètement ouvertes et qu'aucune barrière ne sépare de la forêt.

Les compagnies de chemins de fer se fournissent presque uniquement auprès des propriétaires du pays pour leurs traverses de chemins de fer; il en est de même que les sociétés de pavage en bois, le pin gemmé donnant pour l'industrie une matière plus solide et beaucoup plus durable.

Une station de chemin de fer dans les Landes

Aujourd'hui, du reste, le bois de pin s'écoule plus facilement qu'autrefois, car on l'emploie à différents usages.

On exporte aussi dans les pays étrangers de grandes quantités de traverses de chemins de fer, de poteaux télégraphiques, de poteaux de mines, de pilotis provenant des pins des Landes.

Ces bois absorbent plus promptement le sulfate de cuivre qui assure leur conservation et qui empoisonne les insectes.

On se sert également, pour conserver les traverses et les pavés de bois de pin, des huiles lourdes de goudron.

Les essais de pavage en bois de pin des Landes ont pleinement réussi dans Paris, car ce bois possède cette précieuse qualité de se conserver sous terre et dans l'eau. Ce nouveau débouché est un bienfait pour la contrée.

A Paris on expédie encore des bûches de ces pins, dites falourdes, pour les boulangers.

Les beaux pins bien droits fournissent aussi d'admirables mâts de navires.

Une partie des transports se font par eau, sur les différents lacs qui baignent la forêt et dont l'un des plus beaux est certainement le lac de Cazaux. Il a la forme d'un grand trapèze irrégulier de 30 kilomètres de tour. Sa plus grande largeur est de 14 kilomètres; quant à sa profondeur, elle varie de 40 à 50 mètres et à quelques endroits, chose curieuse, de 15 mètres environ au-dessous du niveau de la mer.

Il existe en France peu de nappes d'eau douce aussi poissonneuses : les brochets, les tanches, les perches, les anguilles y atteignent des proportions remarquables.

Il n'est pas un coup de filet qui ne ramène une grande quantité de poissons. A la pêche à la cuiller, qui se pratique depuis de longues années, il n'est pas rare de prendre des brochets pesant six, huit et même douze livres !

L'eau du lac, très saine, sert à l'alimentation de la  ville d'Arcachon, qui s'en trouve fort  bien.

Le lac de Cazaux a un grand caractère, avec sa bordure de pins et ses grandes dunes blanches semblables à celles du bassin d'Arcachon, dont le lac n'est séparé en ligne droite que d'une distance de 4 à 5 kilomètres.

Sur l'une de ses rives se trouve un petit pays du nom de Sanguinet où l'on peut encore avoir la chance d'apercevoir les derniers échassiers, car, avec la nouvelle mise en culture des landes, leurs dessèchement et assainissement, ce dernier mode de locomotion par l'échasse n'a plus guère sa raison d'être.

On en trouve encore quelques exemples, heureusement pour le pittoresque.

Le facteur rural

Les échasses, appelées tchanques dans le pays, s'attachent à la jambe par une courroie de cuir placée immédiatement au-dessous du genou; le pied repose sur une espèce de petite crédence nommée about et maintenue autour du cou-de-pied par une bande de cuir appelée arroumère.

Pour se tenir en équilibre pendant le repos, l'échassier berger s'appuie le postérieur sur un long bâton, formant alors trépied avec les deux échasses, et tricote en surveillant son troupeau.

Le service des facteurs  ruraux  se fait encore sur des échasses, ce qui leur permet de parcourir en peu de temps les plus longues distances.

En effet, dans certaines parties du pays encore recouvertes de landes non cultivées, marécageuses et complètement dépourvues de sentiers frayés, il serait impossible de desservir autrement les nombreuses cabanes de résiniers, de bûcherons ou de petits fermiers disséminées un peu partout.

Quant au service postal des dunes, il ne saurait, en revanche, se faire sur échasses, le sol étant composé de sables plus ou moins mouvants dans lesquels s'enfonceraient les tchanques inutiles. A pied le service serait beaucoup trop fatigant : le facteur est donc à cheval sur une de ces bonnes bêtes pacifiques du pays, habituées à ces courses si fatigantes et si longues, que beaucoup de touristes renoncent à entreprendre pédestrement.

Du reste le service n'a lieu que tous les deux jours. Il n'est destiné qu'aux postes de douaniers et au sémaphore de la pointe sud du bassin d'Arcachon.

Pour en revenir aux facteurs échassiers, il me semble que c'est un moyen que l'administration des Postes ferait bien d'adopter et de généraliser pour toute la France, ce qui fatiguerait moins le facteur, permettrait de plus nombreuses distributions, et par suite faciliterait singulièrement le service. Ce serait encore plus pratique et moins coûteux que la bicyclette, qui ne peut aller partout, tandis que l'échassier pourrait parcourir toutes espèces de terrains secs ou marécageux en plaine comme en montagne.

Et pourquoi n'essayerait-on pas également de ce système de locomotion dans l'armée, pour l'infanterie comme service d'éclaireurs, pour les télégraphistes comme service de pose des fils télégraphiques sans appareils encombrants, permettant une pose rapide des fils à une certaine hauteur dans un temps très court, la marche d'un bon échassier pouvant être facilement et sans fatigue portée à 12 kilomètres à l'heure.

Il y aurait d'abord suppression des échelles encombrantes à porter pendant la pose des fils aux arbres, aux maisons, etc., et rapidité décuplée dans cette dernière opération par les grandes et rapides enjambées exécutées avec les échasses.

Du reste, depuis le voyage du célèbre échassier Sylvain Dornon (d'Arcachon) de Paris à Moscou, l'autorité militaire russe a mis cette idée à l'étude, et il est fortement question de faire cet essai dans quelques corps d'armée.

Il serait en effet assez curieux de voir ce système essentiellement français adopté par des étrangers avant que nos autorités compétentes y aient pu songer un seul instant, et cela précisément à cause de la grande simplicité et facilité de la chose.

Me voici au terme de mon récit, ayant emporté de mon séjour intéressant et instructif dans ce beau pays le plus charmant souvenir. J'exprime à tous ceux qui m'ont aidé dans l'exécution de mon travail le plus profond sentiment de reconnaissance et d'amitié, et je souhaite aux nombreux voyageurs qui chaque année passent ou séjournent sur le bassin d'Arcachon des excursions aussi agréables que celles qu'il m'a été donné de faire en si bonne compagnie.

P. KAUFFMANN

Dans la forêt d'Arcachon, Le Tour du Monde, Tome LXIV, n° 1665 de 1891

15/01/14 .

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