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Arcachon en 1864

Les frères Emile et Isaac Pereire ne sont pas seulement les inventeurs de la banque moderne; ils sont aussi ceux qui les premiers vont utiliser à grande échelle la "publicité" pour promouvoir leurs entreprises. Créateurs de la Ville d'hiver à Arcachon, conçue comme un sanatorium en plein air, ils vont s'attacher à en assurer le succès et le développement par la publicité.

Ils vont s'attacher les services du très grand photographe bordelais Alphonse Terpereau, qui va photographier la naissance de la Ville d'Hiver entre 1862 et 1865. Ses clichés sont ensuite donnés à des graveurs pour en faire des "copies" que l'on pourra ensuite imprimer dans des journaux. (Les premières photos ne feront leur apparition que vers 1880 dans les journaux).

La publicité pour la ville d'hiver prend parfois la forme de ce qu'on appellerait aujourd'hui des "publi-reportages", c'est à dire de la pub qui se présente comme des articles de journaux. Aujourd'hui une telle forme de publicité est sévèrement réglementée, et tout "publi-reportage" doit être mentionné comme tel. Il n'en était pas de même à l'époque.

Jugez en avec ce "papier" publié par le grand journal qu'était alors 'L'Illustration", dans sa livraison du 6 aout 1864. La flagornerie dont fait preuve ce M. Castelmans, a du lui valoir un séjour gratuit...

L'illustration

LES BAINS D'ARCACHON

Les chemins de fer ont fait dans les habitudes de la vie une révolution si complète, qu'un personnage de l'autre siècle qui reviendrait dans le nôtre, serait aussi émerveillé des mœurs nouvelles qu'un sauvage de l'Amérique du Sud. La vie de campagne, à l'honneur autrefois, n'existe pour ainsi dire plus. Le château s'en va. Batisse isolée sur le sommet d'une colline ou sur les bords d'une rivière, il est destiné a périr comme tout ce qui vit solitaire. Les mœurs américaines s'infiltrent peu a peu parmi nous. Il nous faut la foule, le mouvement, le bruit, les éclats retentissants; nous avons destitué la solitude. Les maisons de campagne de l'immense majorité sont aujourd'hui les stations thermales, les villes de bains et de plaisance. On va retrouver en Savoie ou aux Pyrénées ce qu'on est censé fuir on quittant Paris: la toilette, le bal, tout le tapage de la vie. Qu'un rayon de soleil illumine le boulevard, et tout le monde s'élance a la fois, - un sauve qui peut universel. Cette vie Paris e si fatigante et l'on va chercher une existence plus fatigante encore. Le caractère distinctif du dix-neuvième siècle, c'est le mouvement. Go ahead !

Vue générale


De toutes les stations de plaisance, la dernière venue est Arcachon. Hieri solitudo, hodie vicus, cras civitas, telle est la fière devise de cette aimable colonie improvisée par la puissance des millions, et qui ferait croire à la théorie, si débattue en ce moment, des générations spontanées. Arcachon, située dans un coin des Landes, à cinquante-six kilomètres de Bordeaux, était, il y a quelques années à peine, un modeste village de pêcheurs, déroulant ses pauvres cabanes devant ce magnifique bassin d'eau salée, qui n'a pas moins de cent kilomètres de tour, et qui communique avec l'Océan par une large passe, comprise entre la pointe du Sud et le cap Ferret.

Des habitants de Bordeaux firent bâtir en face du bassin quelques maisons, et à partir de ce moment le village de pécheurs commença à perdre de sa rude physionomie. On sait qu'une maison en appelle une autre, et les autres vinrent si bien et si vite, qu'en peu de temps ce village était une petite ville élégante, dont les Margueritechalets et les villas s'éparpillaient sur une étendue de plusieurs kilomètres. La ville d'été était fondée, et cette ville est assez avantageusement connue pour que je n'insiste pas. L'eau du bassin, aussi salée que l'eau de la mer, mais moins fouettée par les vents maritimes, offre aux malades un bain plus tranquille et plus salutaire. Sur cette plage unique, s'ébattent toute la journée des légions de bambins et de bambines, les jambes nues sur le sable doux et humide. Pas d'accident à redouter. Aussi la plage d'Arcachon a-t-elle été appelée la patrie des enfants.

Arcachon a aussi l'inappréciable avantage d'être bordée de chaque côté, sauf du côte de la mer, par une forêt de pins. Or, l'odeur balsamique et résineuse des pins est excellente dans le traitement d'un certain nombre de maladies. Ces émanations continuelles pénétrant sans cesse, avec l'air, dans les voies respiratoires, remplacent avantageusement tous les procédés balsamiques et résineux administrés si souvent dans le traitement des maladies bronchiques. L'odeur de l'algue marine venant se mêler au parfum des sapins, on peut dire que le malade rencontre sur cette plage les deux remèdes souverains pour le réconfort de sa poitrine.

ThéâtreDivers rapports de médecins spécialistes ayant établi que le climat d'Arcachon était un des plus favorables à la guérison des maladies de poitrine et des voies respiratoires, M. Emile Péreire, sollicité d'ailleurs par le désir d'être utile à son pays natal, conçut l'idée de fonder, à côté de la ville d'été, une ville d'hiver qui ferait d'Arcachon une station permanente. Aussitôt fait que dit: les ouvriers s'emparent de la forêt, ou plutôt de cette partie de la forèt qui forme comme un bassin nature et qui est abritée contre tous les vents, et bientôt la cité s'élève, cité de cottages et de chalets; — là, chaque villa rayonne, celle -ci avec sa robe diaprée de pierres blanches, celle-là de briques rouges, celle-là recouverte de chaume, celle-là d'ardoises bleues. Cette jolie ville est un arc-en-ciel ; elle est enclavée dans une forêt où l'on a percé trente-cinq kilomètres de routes carrossables. —Un bois de Boulogne à douze heures de Paris, à une heure et demie de Bordeaux.


Pour que rien ne manque à ces charmantes habitations, chaque nid joyeux a sa terrasse, sa marquise aux frises tombantes, et tout autour un joli jardin où les fleurs de nos pays se marient aux plantes des tropiques, — le mariage de l'été et du printemps.

Les deux villes sœurs sont reliées par le casino, qui se dresse sur la colline et d'où l'on découvre un des panoramas les plus grandioses. Ce casino est un monument. C'est quelque chose comme l'Alhambra remis à neuf et agrémenté de coupoles plus orientales que mauresques.

Les salles sont d'une splendeur encore inconnue. La vivacité et le brillant des tons rehaussés d'or, tempérés par des demi-teintes d'une douceur extrême, offrent une harmonie savante. Le soir, coupoles et minarets s'illuminent, et an milieu du jardin un élégant pavillon abrite l'orchestre. Ce jardin, qui reproduit sur une plus grande échelle le jardin de Monceaux, est aussi frais, aussi merveilleusement soigné, mais il a sur son confrère de Paris l'avantage de posséder des cactus, des aloès, des arbousiers, des karoubiers : toute la famille de la flore des tropiques pousse là comme chez elle, je veux dire en pleine terre, et ce n’est pas un des traits les moins caractéristiques de la clémence tout exceptionnelle de ce climat d'Arcachon. A ceux qui l'accuseraient de promettre plus qu'il ne peut tenir, il répondrait « : Regardez ces plantes et ces arbustes des climats africains, et dites s'ils peuvent vivre dans un sol refroidi par la gelée. »
Casino
En somme, cette station d'Arcachon, qui réunit deux villes, qui a le plus beau casino et le plus adorable jardin, avec une forêt immense et la mer qui la baigne, n'est pas seulement peuplée, comme on le pense bien, de valétudinaires. Tout le monde y va et tout le monde y reste. De petites voitures à l'heure stationnent à la porte du casino et emportent dans la forêt des centaines de promeneurs; — des barques pavoisées invitent les baigneurs aux excursions maritimes, et les bateaux à vapeur, chargés de passagers, vont doubler le cap Ferret.

C'est en face de ce cap, au delà duquel s'étend la pleine mer, qu'est situé le célèbre chalet de M. Emile Pereire, — une merveille ! C'est tout simplement un palais. C'est le plus vaste chalet qui existe, et c'est aussi certainement un de ceux qui sont meublés avec le plus goût; le jardin qui l'entoure est comme une réduction du paradis terrestre : des fenêtres qui donnent sur la mer, et d'où l'œil embrasse le bassin dans toute son étendue, le spectacle est superbe. On ne peut en vouloir à M. E. Pereire, qui a fait construire tant de chalets et de villas pour les autres, d'avoir songé à se construire un nid sur ce doux rivage.

HENRI CASTELMANS.

Buffet chinois

Le buffet chinois

BremontierEugenie

Villa Brémontier                                                  Villa Eugénie

© L'Illustration

15/01/14
   
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